Mrs. Robinson

Sa main gauche solitaire tenait le volant, sa main droite s’affolait sur ma cuisse. Mon coeur battait vite, même si mon corps était fatigué de la journée interminable. La pluie n’avait pas cessé et ne semblait pas vouloir ralentir.

On avait quitté les draps de son lit un peu contre notre gré. Sa mère avait cogné à la porte de sa chambre à un timing de mère impeccable, pratiquement trop impeccable si on nous avait demandé notre avis. Faut dire que j’avais 16 ans et lui 17, ce genre de situation était normal à cette période-ci de notre vie. On a donc été raisonnable et puisqu’il était le seul de nous deux à avoir son permis probatoire, il m’a proposé d’aller me reconduire chez moi.

On avait quitté la porte d’entrée de sa maison en courant, la pluie nous détrempant pratiquement en une seconde. Sa mère nous avait sans doute crié d’être prudent sur la route en partant, mais le bruit de l’averse coupait tout le reste. J’ai presque trébuché juste avant de rentrer dans la van familiale, faute de porter autre chose que des babouches de chez Ardene.

Il a démarré la voiture rapidement et m’a embrassée sans doute assez longtemps pour que sa mère hésite à revenir cogner à la porte.

On a finalement pris la route alors que le cadran de l’auto indiquait minuit quarante-sept. Je devais me réveiller dans plus ou moins six heures pour mon camp de danse, mais si j’avais pu j’aurais éternisé encore plus notre moment ensemble.

J’avais envie d’éterniser chaque moment depuis notre première date au Portage-des-Roches Sud (et non Nord, bien important). C’était un après-midi qu’il faisait soleil, mais que le vent de juin était frais. On était seuls comme s’il avait barré l’endroit pour nous deux. On n’avait ni l’un ni l’autre de cellulaire à l’époque, donc aucune distraction mis à part le bruit des vagues du barrage non loin et nos sourires en coin qui ne nous quittaient jamais vraiment. Je ne me souviens plus tout ce que je lui ai dit, je ne me souviens plus tout ce qu’il m’a dit, je me souviens juste que ça faisait longtemps dans ma jeune vie d’adolescente-romantique que je rêvais de me sentir comme ça aux yeux d’un gars.

J’ai pris son iPod nano connecté par un fil HDMI à la radio de la voiture pour couvrir le son de la pluie sur le pare-brise. J’ai tourné quelques instants la languette pour lire chaque titre de chanson avant de m’arrêter sur une en particulier:

Il m’a serré la cuisse un peu plus fort, comme s’il était heureux de mon choix. Mon coeur battait fort.

On avait croisé personne sur la route depuis notre départ, encore une fois c’est comme si on était seuls ensemble.

La suite s’est passée vite avant que le temps ne ralentissent pendant un bon moment.

L’eau sur la route en piteux état a pris le contrôle du véhicule, on s’est mis à glisser à gauche, à droite, à gauche, puis encore à droite. On a à peine eu le temps de comprendre ce qu’il se passait avait qu’on se ramasse sur le côté de la route, tête en bas.

J’aurais aimé que la première fois que je lui dit je t’aime, ce n’était pas parce qu’une partie de moi se demandait si j’allais mourir.

L’histoire complète serait sans doute trop longue à écrire ici, mais la plupart des gens qui m’ont déjà croisée en personne en connaissent au moins une partie. Je vous laisse filling in the blanks.

Quand je repasse au Saguenay pendant la saison chaude, je retourne parfois en secret au Portage-des Roches Sud pour écouter le son des vagues en silence. Ça me rappelle cette première date et qu’on n’a pas à tout regretter. Qu’on peut se souvenir des bons comme des moins bons moments.

Published by MARYLOUGB

Dis-moi ta chanson préférée. C'est tout ce qui compte pour commencer.

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