On était arrivé dans la grande ville après plusieurs semaines sur la route, juste les deux, ensemble. C’était le début juin 2013. On n’avait pas mis un pied chez nous depuis plus d’un mois et je crois que je ne m’étais jamais sentie aussi désinvolte.
On avait appréhendé ce moment depuis le Nevada, mais par un miracle inattendu, les rues new-yorkaises n’étaient pas bondées de voitures impatientes et de gens effrontés comme on voyait toujours dans les films. On se serait cru dans un épisode d’une série-télé qui n’existe pas parce que tout allait trop bien.
Le soleil brillait fort. On se stationnait à un endroit qu’on avait probablement pas le droit, mais ça faisait vingt minutes qu’on cherchait et nos deux vessies n’en pouvaient plus. L’auberge n’était pas loin, la contravention de 258$ qu’on aurait quelques heures plus tard en vaudrait sûrement la peine.
Une fois les portes qui affichaient New York International AYH-Hostel franchies, on a défait nos valises dans le peu d’espace (j’ai presque écrit « espoir » et je trouvais l’erreur trop bonne-proche pour ne pas la noter) que notre dortoir de 12 lits nous le permettait. On avait vu pire, on avait vu mieux dans les dernières semaines. On rêvait encore à notre chambre d’Oakland qui donnait sur une marina qui nous séparait de San Francisco, mais on faisait encore de brefs cauchemars sur notre roommate de Vancouver qui nous réveillait avec le soleil et sa voix nasale. Néanmoins, on n’aurait pas été nulle part ailleurs.
On allait voir les plus grands du moment dans les trois prochains jours. Kanye West, Kings of Leon, Kendrick Lamar et d’autres noms commençant par K. Le festival était sur une petite île juste à côté de la ville, on croyait presque rêver tellement qu’on était chanceuse de pouvoir vivre tout ça.
Et malgré tout ça, j’angoissais.
Ma tête tournait, mes poumons semblaient prendre de moins en moins d’air et mon cœur se demandait qu’est-ce que je lui faisais. Ça me stressait, parce que ça allait trop bien. Comme si on avait jamais le droit à une note (presque) parfaite, même si on travaille vraiment fort pour l’avoir. Ça ne se pouvait pas, quelque chose clochait.
Après s’être rassasié et rafraichi de toute la route qu’on avait faite, je suis descendue seule au salon commun proche de l’entrée, où quelques quinquagénaires se mêlaient à des trentenaires pour savoir où sortir après 21h.
Je n’avais envie de parler à personne. Je ne pouvais parler à personne. Tout ce que je voulais, c’était me calmer pour continuer de faire croire à ceux et celles qui m’entouraient que j’avais mes shits together. Je me suis assise sur un des divans en cuir noir-endolori et j’ai placé mes écouteurs dans mes oreilles. Le silence régnait. Je savais que je devais bien choisir ce qui suivrait pour réussir à me calmer un moindrement.
Carrousel de Peter Peter, volume maximal. Mon corps était à New-York, mais ma tête et mon coeur sont partis à un endroit que j’ignore encore.
Aérien mais terre-à-terre, doux et chargé de sens. S’il avait fallu que j’aligne moi-même les étoiles pour me sentir au bon endroit au bon moment, je me serais inspirée probablement d’une chanson comme celle-là. Ça m’a pris quelques écoutes, mais ça a fonctionné.
J’ignorais encore comment les prochains jours se passeraient. Mais tout ce qui importait c’était ici, maintenant.
Je dessinerai un visage aux étoiles
Pour que tu ne te sentes jamais seule
Des milliards de nourrices bienveillantes
Chasseront tout ce qui te tourmente
Tu tournes dans ma tête
Comme un carrousel
Chaque fois que j’écoute cet album, ça me ramène à cet endroit, à ce moment. La Terre a ralenti pendant quelques secondes pour me laisser respirer. Pour me laisser prendre conscience que c’était correct que j’angoisse, mais qu’il ne fallait pas que ça m’arrête de vivre simplement par peur de faire quelque chose qui cloche.
On en fait tous des choses qui clochent. À chaque jour de notre vie, probablement. Et on y survit. Pas besoin d’être parfait.e pour vivre un bon moment. Juste besoin d’accepter tout ce qui se passe et d’en faire le mieux que tu peux.
Et ça me fait du bien de retourner à cet instant. J’espère que vous avez ce genre d’album, ce genre de chanson en vous.
C’est important.