The Queen is Dead

« Veux-tu des enfants » qu’il m’a demandé accoudé au bar, sourire niais aux lèvres et la musique de The Smiths qui couvrait la conversation des autres groupes qui nous entouraient.

Il était beau. Probablement que toutes les filles qui le rencontraient lui trouvaient un petit je-ne-sais-quoi. Ses mains aussi massives que celles d’un ours, sa bouche pratiquement toujours heureuse, son rire beaucoup plus fort qu’on s’en attend. Il était fin comme pas deux et sans malice, pas étonnant qu’il avait autant d’amis. Étonnant que je ne l’avais pas rencontré plus tôt.

La question avait été posée à la légère comme on demande les plans de vacances prévus ou dans quel domaine tu étudies. Toutes les filles de 21 ans voulaient des enfants tôt ou tard, c’était une question inoffensive. Pratiquement du small talk.

On était au bar en bois vernis d’un pub de l’avenue Maguire. Il faisait chaud, le soleil venait de se coucher, mais on pouvait pratiquement encore sentir la chaleur des trottoirs en béton irradier. La journée avait été longue, on commandait les pichets de sangria blanche en batch de deux maintenant, vu la soif de groupe avec qui on était sur la terrasse.

Ça m’a pris un moment avant de réaliser les mots que je m’apprêtais à dire, mais en réalisant surtout que je les pensais depuis un bout sans jamais les avoir dit à haute voix.

« Tu sais quoi, je pense pas! Je sais que je suis sans doute jeune pour dire ça, et que ben du monde vont me dire que ça va changer d’ici une couple d’années comme s’ils me connaissaient plus que je ne me connais moi-même, mais je pense qu’ils ont tord. J’aime ça, les enfants, mais je ne pense vraiment pas que je veux en avoir à moi… »

Je crois que ça a toujours été un peu enfoui en moi, comme le contraire l’est pour la majorité des gens. C’est comme si je n’avais jamais été capable de visualiser le plan familial « classique » pour moi, comme si je ne pouvais pas comprendre que normalement je devrais ressentir ça. J’aurais sans doute aimé ça en plus, ressentir ça. Être « hors norme », ça devient essoufflant, j’aurais pu prendre un break sur celle-là… Mais non.

The Queen is Dead continuait à jouer en écho au silence qui a suivi.

J’ai vu son sourire niais s’effacer de son visage au même moment où ses yeux bifurquaient sur autre chose qui se trouvait derrière mon épaule. J’ai suivi son regard et me suis retournée.

Celui à qui j’avais dit 1 500 fois je t’aime depuis notre premier bec se tenait là, à avoir écouté la question de son ami, mais surtout avoir entendu ma réponse sincère et certaine. 1 500 mots doux, mais la question des enfants n’était pas encore venues à nos lèvres. Vu notre silence, on aurait sans doute dû revoir nos priorités de sujets à aborder.

La chanson s’est terminée. Nos pichets sont arrivés devant nous et tout le monde est retourné sur la terrasse, sans rien ajouter.

The Queen is dead, boys
Life is very long when you’re lonely
Life is very long when you’re lonely
.

Il n’y a absolument rien de mal à savoir ce qu’on veut et ce qu’on croit mieux pour soi. C’est une chance de comprendre ce qui peut nous rendre heureux ou pas. Faudrait s’émerveiller des bonheurs de chacun et poser des questions pour chercher à comprendre ce qui reste un mystère, au lieu de supposer les réponses.

On ne peut pas en vouloir à quelqu’un de respecter ses propres choix et ceux des autres. Même si ça implique parfois des silences plus longs.

Published by MARYLOUGB

Dis-moi ta chanson préférée. C'est tout ce qui compte pour commencer.

One thought on “The Queen is Dead

  1. Bravo MLGB. Je trouves ton écriture profonde et touchante. Tellement beau et vrai. Reste toi-même ma belle 🤗🤗🤗

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